Miroir, dis-moi ...
Apprendre à se connaître rappelle le "gnôti seauton" du temple de Delphes et fait immédiatement penser à Socrate et à Platon.
C'est dans "la République" que Platon se réfère au corps humain divisé en trois
parties: la tête, le tronc et le bas du corps.
A chacune de ces parties correspond une qualité de l'âme.
Le bas du corps, centré sur le ventre, est le siège des désirs,
le tronc, avec le coeur pour centre, est celui de la volonté
et la tête est le siège de la raison.
A chacune de ces trois qualités de l'âme, correspond en outre un idéal ou une vertu.
Il faut dominer le désir pour faire preuve de mesure et de tempérance,
la volonté doit faire preuve de courage
et la raison doit se donner pour but la sagesse qui est la vraie intelligence.
On retrouve d'ailleurs ces mêmes qualités dans l'apprentissage de la vie:
les enfants doivent d'abord apprendre à dominer leurs désirs, puis à développer leur
courage et enfin la raison doit les aider à parvenir à la sagesse.
N'est-ce pas aussi l'objectif de "l'homme de désir", décrit par Louis-Claude de Saint-
Martin, celui qui a dominé ses passions et qui fait preuve de tempérance ?
C'est en travaillant sur les trois niveaux de son être que l'homme apprendra à se
connaître lui-même et que, par analogie, il connaîtra la cité, l'univers et les dieux.
Quant à St Paul, dans sa 2ème Epître aux Corinthiens, il nous propose de nous
connaître au moyen du miroir:
17 Le Seigneur c'est l'esprit; et où est l'esprit du Seigneur, là est la liberté.
18 Et nous tous qui, le visage dévoilé, contemplons comme dans un miroir
la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image,
de gloire en gloire, comme de par le Seigneur, qui est esprit.
(2 Co 3, 17-18)
illustration d'un recueil islandais (1852)
Le miroir dans lequel nous nous voyons est un symbole de nous-mêmes.
Notre esprit deviendra un miroir permettant de voir la gloire de Dieu. Nous
deviendrons comme le Seigneur. St Paul nous confirme en effet que, d'abord
comme un miroir, nous réfléchissons la gloire du Seigneur, et, qu'ensuite, nous sommes transformés en cette même image.
Mais être redevenus "l'image de" ne signifie pas être "identique à" : il s'agit d'une
identité dans la différence.
La Genèse 5, 1 à 3 nous précise d'ailleurs ce qu'est la ressemblance:
1 Voici le livre de la descendance d'Adam. Le jour où Dieu créa
l'homme, à la ressemblance de Dieu il le fit.
2 Mâle et femelle il les créa; il les bénit et les appela du nom
d'"homme", le jour où ils furent créés.
3 Quand Adam eut vécu cent trente ans, il engendra un fils à sa
ressemblance, comme son image, et il l'appela du nom de Seth.
L'homme est donc bien à l'image de Dieu, comme un fils ressemble à son père, sans
être identique à lui.
Une des explications que les commentateurs donnent à la manifestation est que
Dieu a besoin de la création pour se connaître, sinon il reste au niveau du non
manifesté, càd de l'"aïn soph", du non différencié.
En quelque sorte, en faisant l'homme à son image, Dieu a pu se voir et donc se
connaître. De même, l'homme seul ne peut se connaître car, comme le disent les
cabbalistes, "tant qu'un homme n'a pas vu sa nuque, il ne se connait pas".
C'est donc à travers les autres hommes que nous nous connaîtrons: il faut que
notre prochain fasse office de miroir pour que nous puissions nous connaître.
Pour les soufis, le miroir a la faculté de redresser l'image et permet ainsi de voir la
réalité essentielle des choses.
On retrouve cette idée dans le "miroir des fiancés" utilisé jadis pour bénir la première rencontre des fiancés.
Les fiancés rentrent par deux portes opposées, sans se regarder directement; ils
doivent se regarder de biais dans un miroir mural. Ce faisant, dit la tradition, ils se
rencontrent comme au Paradis, voyant leurs visages "redressés", c’est-à-dire l'oeil
droit se trouvant à droite, et non inversés comme en ce monde.
Puisque le miroir donne une image inversée des sujets, on peut sans doute dire que
la manifestation est le reflet inversé du Principe. C'est une des significations
exprimées par le double triangle inversé que constitue l'étoile à six branches,
appelée également sceau de Salomon.
Selon Grégoire de Nysse, qui rejoint en cela les mystiques de l'islam:
"comme un miroir, lorsqu'il est bien fait, reçoit sur sa surface polie les traits
de celui qui lui est présenté, ainsi l'âme, purifiée de toutes les salissures
terrestres, reçoit dans sa pureté l'image de la beauté incorruptible".
Saint Athanase développe la même idée en parlant de l'âme face à l'image de Dieu.
L'âme devenant un miroir parfait participe à l'image et par cette participation elle
subit une transformation. L'âme finit par participer de la beauté incorruptible même,
donc de la perfection même à laquelle elle s'ouvre, qui est Dieu.
St Paul, dans sa 1ère Epître aux Corinthiens, complète cette idée en disant:
12 Car nous voyons à présent dans un miroir, d'une manière obscure,
mais alors ce sera face à face.
A présent, partielle est ma science; mais alors je connaîtrai tout
comme je suis connu.
(1 Co 13 : 12)
Notre connaissance est partielle et le symbole du miroir est d'autant plus parlant que
le miroir de l'époque - "esoptron" en grec - est un miroir en métal poli.
Pour quitter l'Egypte ou Babylone, qui représentent notre incarnation terrestre, et
atteindre la Jérusalem céleste, il nous faut ouvrir notre coeur et le tailler jusqu'à ce
qu'il devienne aussi poli qu'un miroir.
Ce coeur qui, comme l'écrivait Angelus Silesius, doit devenir un miroir reflétant Dieu.
Une première approche pourrait se faire selon une méthode spéculative qui consiste
à observer en utilisant la méditation et en faisant usage de notre raisonnement.
N'oublions pas que "speculari", qui signifie observer en latin, vient de "speculum"
qui signifie miroir.
Une seconde approche pourrait être opérative et consisterait à mettre en pratique les
nouvelles connaissances acquises et à continuer le travail de découverte de nous-
même, des autres et de Dieu, afin qu'un jour nous atteignions cette Jérusalem
céleste qui nous permettra de voir Dieu, non plus dans un miroir, mais face à face
comme le confirme St Jean dans l'Apocalypse:
3 Le trône de Dieu et de l'agneau sera dans la ville; ses serviteurs le serviront
4 et ils verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts.
5 Il n'y aura plus de nuit; et ils n'auront besoin ni de lampe ni de lumière,
parce que le Seigneur Dieu les éclairera. Et ils régneront aux siècles des
siècles.
(Ap 22, 3-5)
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