Chapitre 5 : la nécessité de reconstruire l’individuL’école d’Athènes
Comme nous venons de le voir, certains individus en perte de repères n’ont pas accès à l’éducation, mais n’ont pas non plus la possibilité d’entreprendre les démarches corporelles et
émotionnelles qui les aideraient en ce sens. Sois dit en passant, beaucoup de gens considérés comme « favorisés » ont également été frustrés de leur côté émotionnel par leur famille et leur éducation.
Le
travail de reconstruction de l’individu est donc plus général qu’il n’y paraît.
Dans les doctrines comme le
soufisme, le
taoïsme, l'
hindouisme, le
bouddhisme, l'être humain est considéré comme souffrant du déséquilibre de ses émotions, de ses fixations mentales, de ses « mémoires » et du manque d'harmonie entre les différentes composantes de l'être : l'intellect, le corps, la parole etc.
La « guérison spirituelle » est généralement recherchée avec l'appui et l'encadrement d'un guide, dénommé
lama,
gourou ou
cheikh selon les
traditions[1].
Le
psychothérapeute joue un rôle similaire en Occident. Certains en sont venus à penser que certaines
pathologies pourraient ne pas trouver de résolution par l'
analyse seule. Après avoir montré le rôle important de la
société dans la
névrose, l'analyse débouchait parfois sur des problèmes qualifiés de « spirituels ».
Jung, se tourna ainsi vers l'étude de pratiques issues de religions traditionnelles afin de « guérir l'âme ». Ainsi, dans les années 1960, les travaux de Jung avec la collaboration d'Abraham Maslow, d'Assagioli entre autres, ont donné naissance à la
psychologie transpersonnelle.
En parlant de Jung, je ne peux m’empêcher de rappeler ici les travaux de
Philon d’Alexandrie, philosophe et médecin du 1er siècle de notre ère, qui ne soignait pas les corps mais « prenait soin de l’être », c'est-à-dire que, pour guérir l’homme de ses maux, il s’adressait aux trois parties de l’être selon Platon : le corps, l’âme et l’esprit !
[2]Au temps de Philon, le thérapeute prend soin du corps, il prend soin aussi des images qui habitent son âme, il prend soin des dieux et des paroles (des "
logoï") que les dieux disent à son âme: c'est un psychologue.
Le thérapeute veille également sur son désir afin de l'accorder à la fin qu'il s'est fixée; ce soin peut faire de lui un être heureux, « sain » et « simple » (càd non double, non divisé en lui-même), bref, un Sage.
Le thérapeute ne guérit pas, il "prend soin"; c'est le Vivant qui soigne et qui guérit.
Entrer chez les thérapeutes, c'était prendre soin du corps, prendre soin des dieux, prendre soin de son désir et prendre soin de l'autre. Il faut réorienter le désir, lui rendre "la mémoire bienheureuse de l'Etre", le faire revenir de l'oubli. Le commencement de l'attitude juste à l'égard du monde, n'est ni mépris, ni idolâtrie.
Ni mépris, parce toute réalité participe à l'Unique Source ; ni idolâtrie, parce que aucune réalité n'est l'absolu.
La guérison psychique est ainsi liée à la connaissance métaphysique. La maladie mentale, n'est-ce pas, aujourd'hui encore, la perte du Réel et l'enfermement dans une illusion du réel ?
[1] «
Le mental, les tendances, les vasanas, les samskaras redeviennent actifs et vous revoilà secoués, agités, poussés »
Arnaud Desjardins dans « Le Védanta et l'inconscient » éditions de la Table Ronde.
[2] Prendre soin de l'être : Philon et les Thérapeutes d'Alexandrie –Jean-Yves Leloup (Albin Michel) 1999.